Question de choix
" J'aurais pu être conseiller en stratégie et en communication si j'avais été plus cynique. J'aurais facilement pu faire le job de Rossignol. Je serai vite monté en grade, j’aurais convaincu mon patron de me laisser cumuler direction de la com et des relations humaines. J’aurais mieux gagné ma vie. Enfin, pas sûr. J’aurais eu des secrétaires à ma botte. Et des brainstormings et des debriefings. Et un large bureau vitré au vingtième étage d’une tour. Et des costumes de chez Giorgio. Et une Saab 900 intérieur cuir camel et une BM et une Mercedes coupé et une moto dessinée par Starck et une maison dans le sud-ouest avec une piscine pour les enfants et une femme souriante et fière de moi et une mère pareille et trois chiens et des billets d’avion plein les poches et des livres dans la bibliothèque que j’aurais eu le temps de lire parce que mon boulot, après quelques mois difficiles, me laisserait beaucoup de temps libre et un écran géant avec sono Bose et un home cinema dans chaque maison et des billets pour les matchs de foot pour les copains et mon patron. C’est le problème : le patron. Imaginons que mon patron soit sympa et cultivé, qu’il ait lu Cervantès, et Richard Brautigan (non, pas Bautrigan, c’est impossible on ne peut pas être patron et aimer Bautrigan). Il arrivera tôt ou tard le moment où mon patron m’expliquera qu’il faut fermer une usine ou investir en Chine pour faire plaisir aux actionnaires. Donc virer deux mille personnes. Fatalement, je devrai trouver une astuce pour baiser la presse et faire passer la pilule aux ouvriers. Ensuite, je me regarderai dans la glace. Et là, me connaissant, j’aurai un problème de conscience. Pour faire ce boulot, il faut être capable d’étrangler son lièvre intérieur, ne jamais se voir dans une glace et devenir transparent. "