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24 avril 2006

De la difficulté d'aider...

... de la difficulté d'aimer

Le petit lapin et le piège de métal

Il était une fois, un petit lapin qui, lors d'une insouciante ballade, se retrouva la patte coincée dans un piège de métal. Le petit lapin avait très peur et très mal. Il appela à l'aide toute la nuit, mais personne ne l'entendit. Pour regagner son village, il fût alors obligé d'avancer seul en traînant derrière lui sa patte prisonnière dans le lourd étau de fer. Il regagna tant bien que mal son terrier. Honteux, il se terra chez lui et dissimula sa patte meurtrie sous un tas de feuilles. Il resta immobile de longs jours, son membre entravé à l'abri des regards. Mais la vie devint vite difficile pour le petit lapin. Il ne se nourrissait qu'à la nuit tombée lorsque tout le monde avait regagné son terrier, traînant son encombrant fardeau. Il ne pouvait plus gambader en liberté dans la prairie avec les autres petits lapins, il était obligé de refuser leurs invitations, toutes les propositions de jeu, de trouver des  excuses pour que personne ne puisse être en mesure de découvrir son terrible secret. Les autres ne comprenaient pas et, pensant qu'il ne voulait pas jouer avec eux, s'éloignèrent peu à peu et le laissèrent tout seul. Le petit lapin blessé se mit alors à ruminer de sombres pensées. Il resta seul longtemps, longtemps, partagé entre ressentiment et rêve d'une vie meilleure. Il grandit ainsi.

Un jour, alors qu'il nettoyait sa patte endolorie, un autre petit lapin entra à l'improviste dans son terrier et vit le piège de métal.

"Mon dieu, c'est horrible ! S'écria t-il, je vais t'aider à te nettoyer !"

Le petit lapin ressentit alors des émotions très contradictoires. Il ne voulait pas avoir besoin d'aide, mais pour la première fois depuis si longtemps, quelqu'un faisait attention à lui, et cette attention lui avait tellement manquée ! Il s'était senti si seul ! Il décida alors de révéler son secret à toute la communauté des lapins, et sortit enfin de son terrier, en plein jour. C'est alors que l'invraisemblable se produisit. Alors qu'il avait craint pendant toutes ces années le rejet et le mépris de tous, les autres petits lapins se rassemblèrent autour de lui, emplis d'effroi en voyant ce qui lui était arrivé.

"Pauvre petit lapin ! S'exclamèrent t-ils tous en chœur, tu as tant souffert, pourquoi n'avoir rien dit !"

Et à partir de ce jour, chacun s'empressa autour de lui pour le consoler et l'assister, lui apportant tout à disposition puisqu'il avait tant de mal à se déplacer par lui-même. Les mères lapines vinrent le dorloter comme elles le faisaient avec leurs propres petits, et les dames lapines accouraient pour déverser toute leur affection sur ce pauvre infirme qui en avait tant besoin. On répondait hâtivement au moindre de ses caprices qu'on lui pardonnait bien aisément. Il avait tant souffert ! Le petit lapin était aux anges. Sa malédiction semblait s'être transformée en bénédiction. Pourtant il se sentait souvent seul, surtout la nuit, lorsque tout le monde avait regagné son foyer. En y réflechissant, il découvrit qu'il méprisait secrètement tous ceux qui s'occupaient de lui. Mais il chassa bien vite cette pensée.

S'écoulèrent ainsi plusieurs années, jusqu'au jour où une petite souris passa près du village et décida de s'y arrêter. Elle fût elle aussi touchée par l'histoire de ce pauvre petit lapin à la patte piégée. Mais, au lieu de le prendre en pitié, elle voulut apprendre à le connaître. Elle ne faisait pas les quatre volontés du petit lapin, mais elle dormait le soir près de lui, et ensemble ils parlaient, ils parlaient... de tout et de rien, mais ça n'avait pas d'importance. Pour la première fois, le petit lapin ne se sentit plus seul. Mais la petite souris ne comprenait pas tout cet affairement autour de lui et elle trouvait le petit lapin parfois bien capricieux, et de plus en plus exigeant, parfois même haussait-il le ton avec elle... la petite souris fût tentée de l'excuser, mais quelque chose au fond d'elle lui disait que ce n'était pourtant pas acceptable.

" je suis bien malheureux ! criait-il à qui voulait l'entendre, occupez-vous de moi !"

Et il y avait toujours une bonne âme pour se précipiter à son chevêt. Dans ces moments là, c'est la petite souris qui se sentait seule. Elle essaya un jour d'en parler à son ami, mais celui-ci s'arrangea pour détourner habilement la conversation.

Un matin, alors que tout le monde était à la fête au village, le petit lapin dit à la petite souris:

" Ne vois-tu pas que je souffre beaucoup aujourd'hui ! Je n'en peux plus de tout ça, c'est si dur ! Et je meurs de faim ! Je ne peux pas bouger ! Va dehors me chercher de quoi manger !"

La petite souris n'apprécia pas ce ton impératif, mais, comme elle détestait voir son ami souffrir, elle se dit qu'il était vraiment temps de faire quelque chose. Elle réfléchit, regarda attentivement le petit lapin, et soudain, une idée jaillit dans son esprit. Elle s'approcha alors du petit lapin et commença à ronger le métal du piège de ses petites dents bien affûtées.

" Que fais-tu ?! S'exclama le petit lapin.

- J'essaie de te délivrer ! Répondit la petite souris, tu ne peux pas rester ainsi !

- Pourquoi ne vas-tu pas me chercher à manger au lieu de me ronger la patte ! Je croyais que tu étais mon amie et tu refuses de m'aider ! Ne vois-tu pas que je souffre depuis si longtemps !

- Ce n'est pas ta patte mais cet abominable piège que je ronge ! J'ai enfin compris, c'est ce piège qui est la cause de toute ta souffrance ! Il faut t'en débarrasser une fois pour toutes ! Ensuite tu pourras à nouveau te ballader dans la forêt ! Nous pourrons nous ballader ensemble !

- Je me suis déjà balladé il y a longtemps ! C'est bien trop dangereux ! je suis trop faible pour sortir du village !

- Mais non ! Tu es fort et vaillant ! Tu l'as oublié mais moi je le sais !

- Tu ne comprends rien ! Si tu étais mon amie tu m'accepterais tel que je suis ! Va t-en, je ne veux plus te voir !"

La petite souris s'en alla, confuse et triste. Elle ne comprenait pas pourquoi le petit lapin l'avait repoussée ainsi. Elle qui justement voulait l'aider !

Sur son chemin, elle croisa un vieux lapin, le plus sage de tous les sages du village:

" Pourquoi es-tu malheureuse petite souris ? Lui demanda le sage lapin.

- Je suis malheureuse parce que j'ai perdu un ami, répondit la petite souris, je voulais juste l'aider à aller mieux..."

Le sage lapin sourit tendrement à la petite souris:

" Que voulais-tu faire pour l'aider ? Lui demanda t-il.

- Le délivrer d'un terrible piège de métal, pour qu'on puisse gambader tous les deux en liberté au travers de la prairie ! Il souffre tant !

- Hum... fit le sage lapin, je vois qui est ton ami. Regarde bien petite souris, il n'est pas aussi malheureux qu'il le dit. Grâce à son piège, il est très entouré, les petits lapins viennent jusque dans son terrier pour jouer avec lui et les dames lapines se battent pour soigner sa patte malade.

- Mais il est si seul pourtant ! Il ne voit pas que cette foule veut juste se donner bonne conscience !

- Petite souris, regarde bien, il obtient tout sans rien demander, et il considère même maintenant que tout lui ai dû, que sa souffrance lui donne des droits sur les autres. Il trouve son compte dans cette situation. Son piège, il ne veut surtout pas s'en débarrasser, il lui est trop précieux. Et sans lui, il n'a plus de repère. C'est pour ça qu'il t'a chassée."

La petite souris écarquillait les yeux.

" Vous croyez ?! Mais il s'en plaint tout le temps de son piège !

- Regarde bien petite souris, regarde mieux. Dès qu'il se plaint, les autres accourent. La douleur les intimide, elle les rend respectueux. Ils veulent se sentir utiles et par là même ils deviennent maléables. Ton ami entretient sa souffrance et il ne veut surtout pas qu'on l'en débarrasse, il n'est pas prêt à renoncer à tous les bénéfices et avantages qu'il en tire. Même au prix de sa solitude. Là est le véritable piège. En lui. Il est son propre piège. Sa peur ancienne. Et c'est pour cela qu'il est si malheureux. Il ne veut pas être délivré, il veut être consolé, comme le petit lapin perdu d'autrefois.

- Je ne peux y croire...

- Et pourtant petite souris, regarde bien... les petits lapins, eux aussi, ont des petites dents bien affûtées. Ton ami a toujours eu le choix d'être libre.

- Mais que dois-je faire ?

- Rien petite souris. On est toujours seul à entretenir ses propres souffrances et on est toujours seul à pouvoir s'en délivrer. On peut être aidé, mais jamais malgré soi. C'est à lui de faire son choix. Tu as fait ce que tu devais, ne présume pas de tes forces et ne les gâche pas, elles sont si précieuses.

- Mais c'est insupportable ! S'écria la petite souris.

- Je sais, répondit le sage lapin.

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