La vie rêvée des anges
Ce qui préoccupe nos politiques en ce moment, c'est le taux d'absentéisme reccord qui risque de perturber la productivité des entreprises et les bénéfices de nos bienfaiteurs nationaux, les entrepreneurs, si la vilaine grigrippe venait nous chatouiller à la rentrée. Ce taux pourrait atteindre 40 % des salariés au pic de l'épidémie, si les prévisions actuelles de contamination se confirment, d'après le docteur Chouchkaieff, médecin de la Drass. Les petits neurones sont donc en ébullition pour prophétiser une solution à cet épineux problème. Après la tentative de diabolisation de l'arrêt de travail frauduleux, pourquoi pas le boulot à domicile en arrêt maladie. Il faut que les esclaves gardent leur poste, coûte que coûte, même si le bâteau prend l'eau de toute part.
Car en effet, si tout ce beau monde manque cruellement d'imagination quand il s'agit d'envisager une société basée sur un nouvel équilibre avec une meilleure répartition des richesses et de nouvelles priorités, la caboche s'emballe pour trouver un moyen de sauver les marges. Alors on voit fleurir des initiatives exceptionnelles de ci, de là. On nous propose de taffer 24 sur 24, pour que la ménagère entretenue puisse shoppinguer à tout moment, même le dimanche (je dis "entretenue" car les autres vont taffer le dimanche justement). On nous demande aussi de renoncer à notre salaire pour aider notre cher patron à régler les charges de son octuple résidence "secondaire" au Cap d'Agde (ben ouais, flûte alors, quand on est chef d'entreprise, on gagne beaucoup mais on a de grosses charges en contrepartie). On nous annonce ensuite que pour sauver son job, il va falloir consentir une baisse de 12 % de son salaire (ptain, les chômeurs ne connaissent pas leur chance avec une revalorisation de leur allocation de 1%).
Allons, soyons sérieux. Devrons-nous aussi hypothéquer nos baraques pour faire un don au MEDEF ? Prostituer nos enfants pour récolter des fonds ? Faudra t-il bientôt payer l'entreprise pour taffer, au nom de la grandeur de la "valeur travail" ? Non, nous ne cauchemardons pas, on nous demande vraiment de sacrifier notre vie, notre temps, notre santé, et même notre bon sens et notre instinct de survie pour permettre à une bande de négriers de conserver leurs privilèges.