Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Transition
Publicité
Transition
Derniers commentaires
Archives
25 juin 2009

Sans concession

Excellent.

Par Raoul
Chronique des haines ordinaires, Zap Magazine

Je hais les amuseurs de banquet.

Vous savez, tous ces êtres frustres persuadés d’avoir un talent incommensurable parce qu’ils sont capables de faire rire une tablée en ahanant le dernier sketch scatologique de Jean-Marie Bigard (Je dis Jean-Marie Bigard. Mais j’aurais aussi pu dire Anne Roumanoff ou Djamel Debouzze, mais l’une n’est pas drôle quand l’autre n’a pas de texte).

Comme vous le subodorez, je ne perdrais pas mon temps à poignarder la stupide fête de la Saint Valentin. D’abord je l’ai déjà fait et, moi, contrairement à tous les journalistes incapables de se renouveler et qui réécrivent, année après année, les mêmes mièvres articles de saison, je ne pratique pas le lamentable système dit du marronnier.

Ensuite, ma conception de l’amour devenant de plus en plus amer au fil du temps, des déceptions répétées, du manque de romanesque, des attentes jamais comblées, des explications foireuses, je ne fatiguerai pas ma plume – déjà sèche – avec un tel sujet que j’appelle d’ailleurs, très solennellement, à boycotter. Ou alors, si, mais seulement avec ce petit exercice de style.

La Saint-Valentin, définition : événement commercial fêtant un sentiment qui n’existe pas ; très apprécié par les veaux de tout poil, la Saint-Valentin est en réalité la fête des marchands qui peuvent, le 14 février, sournoisement doper leurs ventes sur le dos large et crédule desdits veaux.

Mais revenons au sujet qui nous intéresse. Enfin qui m’intéresse – j’écris d’abord pour moi si vous le permettez. C’est au cours de l’un de ces interminables repas inhérents aux fêtes de fin d’année que cette idée de chronique a jailli, puis s’est lentement dessinée dans mon esprit tourmenté. D’habitude, pour faire passer le temps, outre les coups de pied sous la table que j’envoie gaiement en direction des enfants qui pensaient y trouver refuge, je mange et je bois beaucoup en remuant la tête de bas en haut pour faire mine de participer aux discussions environnantes passionnantes, sur le nouveau papier peint de la cuisine, les bonus DVD du film "Bienvenue chez les ch’tis", ou sur, je cite de mémoire "les prises de positions courageuses de notre Président". Je réfléchis aussi au triste cheminement m’ayant conduit à participer à cette mascarade de réunion conviviale. Ou je m’interroge sur l’intimité des couples voisins. Ou, aux heures les plus sombres, je compte les doigts des convives (c’est un jeu très amusant, vous pouvez facilement faire des soirées à plus de 200 doigts. Parfois même, les soirs de veine, vous tombez sur des chiffres impairs). Bref, en résumé, je m’emmerde.

On m’accuse souvent d’être asocial, mais je fais comment, alors ? Je dis tout haut ce que je pense tout bas ? J’affirme que ce papier peint criard est le comble du mauvais goût, un mélange de ringardise et de m’as-tu vu, et donc qu’il ira très bien avec la cuisine et son couple de propriétaires ? Je fustige tous les pseudos amateurs du 7e art, avant de tenter de leur expliquer que " Bienvenue chez les ch’tis " est l’enfant honteux du cinéma français, et qu’en termes de réalisation, de jeu d’acteurs et de scénario, cette œuvre apocryphe sur les gens du nord ne vaut même pas un mauvais épisode de Navarro ? Et quid des positions dites courageuses de " leur " président ? Ils entendent par courage sa faculté à mentir, comme ses prédécesseurs, avec un aplomb extraordinaire, qui n’est pas, d’ailleurs, sans me rappeler quelques-uns de mes camarades prêts à dire n’importe quoi pour entraîner dans leur lit de naïves mais graciles jeunes femmes ? Dans les deux cas, les promesses n’auront engagé que ceux qui les écoutent. Et n’auront blessé que ceux qui y auront vraiment cru. Nous pataugeons dans un monde de mensonges où les autres nous renvoient en permanence une fausse image d’eux-mêmes. Le marketing et la vente forcée se sont étendus jusque dans les relations humaines de base. D’où mon affection tenace pour les perdants sans masque, les ratés lucides, les échoués aux yeux grand ouverts. Mais je m’égare.

Au cours de l’un de ces banquets, donc, un homme m’a donné l’inspiration. La clé. Il était là, hirsute, grossier, vitupérant des histoires graveleuses, monopolisant l’attention de tous, et provoquant l’hilarité d’une écrasante majorité. Oui, écrasante ! Car quoi de plus ostracisant que des rires que vous ne comprenez pas ou que vous jugez ridicules ? J’ai donc traversé ce moment de solitude en scrutant l’amuseur. Je le regardais agiter sans grâce ses longues mains, rire lui-même de ses effets pour entraîner ses voisins, et alors qu’il s’apprêtait à raconter l’histoire éculée des deux prostituées coincées dans un ascenseur (vous savez, avec l’une qui demande à l’autre pourquoi ça sent une drôle d’odeur et l’autre qui lui répond "excuse-moi, j’ai roté"…), je me suis dit que je le haïssais. Je haïssais cette forme de tyrannie. Je ne voulais plus me forcer à rire pour être courtois. Pour un tant soit peu adhérer à ce groupe. Je me suis levé, j’ai enfilé ma veste de cuir, j’ai marmonné que j’allais prendre l’air, et j’ai quitté la pièce. En refermant la porte d’entrée derrière moi, j’entendais encore leurs rires. Ils m’ont poursuivi jusqu’à chez moi. Jusque dans mon propre lit. Comme s’ils commentaient ma vie, mes choix, mes échecs.

Publicité
Publicité
Commentaires
S
Bien sur que non tout le monde n'est pas contaminé et je m'efforce d'éviter de laisser des cons me miner ! rires (bon c'est pas tjrs facile hein)
S
Horrible de par sa banalité ! <br /> Je me sens moins seule, ma foi, après la lecture de ce billet... Tout le monde n'est pas encore contaminé par le vent de décadence qui ne cesse de souffler sur cette société malade d'elle-même...<br /> Pauvre monde ou ce qu'il en reste !
R
C'est une expérience horrible qui est décrite ici
Publicité