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23 août 2008

Le rêve: drogue dure de l'homme ?

Un extrait d’une interview du philosophe Yvan AMAR, issu du magazine Nouvelles Clés " spécial anniversaire " (ca tombe bien, c’était y a quelques jours :) N° 58, sur le thème " Pour donner du sens à sa vie ", qui regroupe une vingtaine d’entretiens de différentes personnalités, qui ont été publiées dans ce magazine ces vingt dernières années et qui sont encore étrangement complètement d’actualité. Les interviews sont vraiment super, pour ce que j’en ai lu. Celle dont voici un extrait, intitulée " Pourquoi se drogue t-on ? " est la première du magazine :

" Chez nous, le fait d’absorber une substance par compensation, parce que la vie n’est pas satisfaisante, met en avant " la première drogue d’entre toutes " : le rêve. Que fait-on face à un quotidien insatisfaisant ? Dès l’enfance, il y a deux types de comportements : certains vont agir et transformer ce quotidien en faisant des efforts ; d’autres vont rêver un autre quotidien, oubliant un réel trop dur, où ils sont dominés, handicapés, malheureux. Jusqu'à un certain point, ce rêve a une réalité. D’ailleurs, même ceux qui font des efforts pour transformer le monde ont besoin du rêve – il sert d’esquisse au projet qu’ils tentent de matérialiser. Ceux-là connaîtront peut-être la matérialisation de leur rêve, et à coup sûr la joie de la pratique et de l’effort. Les autres, qui n’agissent pas, trouveront aussi une forme de gratification dans la compensation intérieure qu’apporte un univers de rêves ; mais à un moment donné, ce rêve-là ne sera pas assez fort ; et l’une des raisons qui va pousser à absorber des substances qu’on appelle drogues, c’est qu’elles vont compenser, dans le monde des rêves, le manque de réalité de ceux-ci.

Celui qui transforme le monde rend son rêve matériel. Il connaît la satisfaction de pouvoir contempler et d’être, pour cela, reconnu par les autres. Celui qui ne fait que rêver a des rêves sans consistance. Or, certaines substances ont la propriété de faire passer les rêves pour plus consistants, plus intenses, plus réels qu’ils ne sont. Ce qui fait que le rêveur insatisfait aura naturellement tendance à augmenter les doses. Pour moi, telle est " la première drogue " : le rêve de l’homme devant le quotidien, et le fait que l’on puisse intensifier ce rêve-là, lui donner plus de réalité. Il est essentiel de mettre en avant les risques catastrophiques que courent l’adolescence et la jeunesse dans ces moments clés, véritablement initiatiques, où nous cherchons à opérer la conversion du rêve en réalité.

A l’âge de la puberté, le petit humain va faire un rêve ; vivre une expérience, être totémisé, recevoir un nom, faire le rêve de ce que sera sa vie… Là, il entre dans le monde des adultes. C’est du moins ce qui se passait dans les civilisations traditionnelles. Ce même adolescent qui, aujourd’hui n’est plus encadré et a grand mal à faire l’effort de comprendre ce qui se passe en lui, s’il prend une substance hallucinogène, eh bien, il va vivre quelque chose de doublement chamanique. Cette substance, qui a le pouvoir d’intensifier son rêve et de lui donner une réalité intérieure pendant quelques temps, fait bien plus : elle remet directement en cause les mécanismes de croyance du monde. Si elle a lieu trop tôt, cette remise en cause peut complètement démobiliser l’individu, qui ne pourra plus fournir le moindre effort. Quiconque a pris ne serait-ce que de l’herbe a pu constater l’espèce de cirque que l’on voit soudain autour de soi et qui ne peut faire que rire : la façon dont les gens se comportent, s’affairant dans des univers complètement fermés, vers des objectifs ridicules ou futiles, bref le grand jeu de masques et de dupes, tout cela se trouve dévoilé et l’individu, gravement démotivé, risque de ne plus pouvoir fournir le moindre effort, rejetant en bloc le système dans lequel il est censé fonctionner. Or, cela se passe à l’âge où, justement, l’adolescent doit se structurer dans l’effort qui, seul, va pouvoir concrétiser le projet qu’il porte en lui. On comprend que cela soit catastrophique. De plus, ces expériences psychotropiques peuvent être très intenses et créer un fossé infranchissable entre ce qu’il voit et sa capacité de l’intégrer à sa propre (r)évolution. Cette enfant-là risque non seulement d’être perdu pour la société, ce qui est déjà un mal, quoiqu’on pense de la société, mais surtout d’être perdu pour l’accomplissement de son propre destin. Parce qu’il risque fort de ressentir constamment le besoin de reprendre de cette substance pour continuer à vivre.

Face à cela, il paraît complètement ridicule de parler de pénaliser ou de légaliser. Il faut un point de vue complètement différent, qui n’a rien à voir avec la police ou la justice, mais qui concerne la psychologie, la philosophie, la religion, la structuration culturelle d’une société. "

(…)

Le problème, dans l’homme, c’est toujours le décalage entre ce qu’il sait et ce qu’il est. Rappelons combien nos grands inconforts viennent de la différence entre ce que l’on est et ce que l’on n’est pas. Et là, on rencontre un grand paradoxe, qui montre que l’on se retrouve toujours rattrapé par ses illusions : celui dont nous parlions au début, qui croyait pouvoir se dispenser de l’effort nécessaire à la transformation de son rêve en réalité, se trouve soudain confronté, à l’intérieur de lui-même, à la nécessité d’un travail immédiat pour pouvoir intégrer l’expérience qui lui manque au cours de son voyage intérieur.

Autrement dit, la vie ne nous dispense jamais de l’effort approprié et nécessaire pour intégrer nos expériences à notre vécu quotidien. Aucune substance ne pourra nous éviter cet effort d’intégration à faire et dont notre vie a besoin. Certains vont opérer cette intégration par l’action, en se libérant de l ‘attente qu’ils ont des fruits de l’action, ce qui va les amener à entrer dans un processus beaucoup plus vaste de conscience. Et puis il y a ceux qui vont prendre la voie de la substance, en désirant qu’elle soit lucidogène et non plus hallucinogène : ceux-là seront confrontés à la même nécessité de travail intérieur qui va les obliger à abolir peu à peu l’espace qu’il y a entre l’élévation de cette expérience induite et leur niveau de conscience ordinaire.

(…)

D’un point de vue initiatique, il n’y a pas de croissance sans crise. Celle-ci marque toujours un moment clé. Face à une crise, il y a deux façons de se comporter : affronter ou être victime. Si l’on n’a pas appris à gérer la crise, on se fait dépasser par elle.

Nous générons, par notre comportement, les crises dont nous avons besoin pour grandir. Soit nous les dépassons, en nous en servant comme possibilité de grandir ; soit nous les subissons en nous faisant aider par des substances diverses et en ajournant continuellement la nécessité de passer à travers elles. En cela, le calmant s’avère souvent la seule façon de compenser notre incapacité d’agir de façon adulte et responsable face à la crise et à notre croissance. Notre inconscient se trouve déployé autour de nous : il génère constamment son environnement et nous créons continuellement des situations, des évènements, des rencontres, donc un univers de relations, qui sont autant d'occasions pour nous de résoudre les problèmes que nous suscitons et que nous devons résoudre si nous voulons apprendre à grandir. "

C'est toujours douloureux les prises de conscience, mais elles transforment aussi, donnent plus de lucidité, de profondeur et d'humanité sans doute. Le vécu (bien intégré) ça rend moins lisse, plus simple et plus complexe (ce qui est différend de compliqué ! ). Le problème est de vivre ces moments sans qu'ils ne nous entament de manière irréversible, sans qu'ils ne soient trop destructeurs...

Mais je le conseille vraiment ce magazine, y a des textes géniaux, et j'en mettrais sûrement d'autres extraits au fur et à mesure de mes lectures :)

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Commentaires
S
La vie est un combat...perpétuel !<br /> Il commence à la naissance et s'achève à la mort...<br /> Un combat contre lequel nous sommes plus ou moins bien armés...il y a des batailles dures à mener, selon notre capacité à résister, notre force intérieure...et de nombreux autres paramètres...<br /> Se réfugier dans le rêve est une alternative pour esquiver la lutte...mais la réalité l'emporte toujours !<br /> Apprenons à vivre avec les épreuves en maîtrisant nos forces et acceptons les échecs que la vie nous impose parfois...ils nous aident à grandir !
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