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31 mars 2008

L'alternative H/H

Extrait du "Petit traité de toutes vérités sur l'existence" de Fred Vargas, un petit livre vraiment drôle, qui ne se prend pas au sérieux, à lire entre les lignes...

"Le Homard, de par sa nature et de par son armure à toute épreuve, n'a pas évolué d'un iota depuis le Carbonifère, au bas mot depuis 250 millions d'années, et je suis coulante. Et quand je dis 250, je ne vous brade pas un chiffre en l'air. J'insiste pour que vous vous figuriez bien la chose: tel vous connaissez le homard, tel il était, tel il sera toujours.

Alors que l'Hominidé, apparu dans un état d'imperfection pitoyable il y a seulement 4 millions d'années, l'hominidé démuni de tout avantage, doté de cinq sens plus lamentables les uns que les autres en comparaison de ceux du premier insectivore venu, mauvais coureur, mauvais pisteur, mauvais nageur, mauvais grimpeur, à la peau molle et fragile, dénué de défense, de griffes, de cornes, de sabots, enfin bref, l'hominidé, la plus minable des créatures terrestres, inapte à sa défense et proie toute désignée pour le plus pleutre des prédateurs, effectua en un temps record une évolution foudroyante qui le mena là où on sait, à ce stade animal accompli, j'ai nommé l'Homme. Car l'hominidé, terrifié par les mille dangers l'assaillant, dut s'adapter en vitesse pour survivre et il ne le fit pas avec le dos de la cuillère croyez-moi. Il se redressa sur sa route solitaire semée d'embûches, il libéra ses mains laborieuses, allégea sa nuque pensive, laissa grandir et éclater toute la puissance de son cerveau et regarda le monde face à face, avec sa grosse tête dominant l'univers, bourrée d'idées et d'atermoiements. On ne sait si c'est ce qu'il a fait de mieux mais les faits sont là, imparables: surprotection égale homard égale immobilisme égale stagnation; prise de risque égale hominidé égale mouvement égale évolution.

C'est là le concept novateur dit "du homard", et l'on voit qu'on scrute ici du doigt, en amour comme en philosophie, un point crucial de notre thème. L'alternative reste ouverte, ce n'est pas à moi de vous dicter votre conduite tant mon respect de la liberté d'autrui est proprement inconcevable.

Si vous choisissez la protection, l'abri, la fermeture, le claquemurage hautement sécurisant d'une épaisse carapace de principes, sachez que la route ne vous offrira guère de surprises, de changements, de variations et bien de la lassitude, mais en contrepartie nul risque et nulle anxiété car telle est la vie qu'elle donne d'un côté ce qu'elle prend de l'autre.

Si à l'inverse vous optez pour le mouvement, la modification, l'adaptation, la souplesse, voire les possibles chamboulements et les révolutions, alors repoussez loin de vous toute idée de refuge et sachez que la menace du chaos est là, toujours imprévisible, car telle est la vie qu'elle prend d'un côté ce qu'elle donne de l'autre (...)

Ainsi, car du regard je ne lâche pas mon armature, libre à vous de choisir votre voie, Homard ou Hominidé, en toute connaissance de cause. S'agissant d'amour, c'est bien souvent qu'un tel choix entre Protection et Risque se pose à l'être humain. En le laissant pantelant d'hésitation.

Le recueil vous éclaire et vous guide: le mariage stable, avec engagement d'amour à vie, avec un être stable, dans un lieu stable, dont l'immuabilité se voit garantie par une profession stable, autorisant une progéniture psychologiquement stable est évidemment une tentation terrible. Sachez cependant dans quoi vous vous avancez alors: la stabilité. J'ai lâché le mot, il est brutal.(...) Hors le mouvement, point de risque, point de surprise, point d'inquiétude, donc point de désir, et donc à moyen terme plus d'amour. (...) La stabilité fait imploser l'amour en douce poussière, lentement mais inexorablement, il est essentiel d'en être averti, et le transmue en une morne indifférence ou en une tendre amitié, ce qui n'est certes pas à négliger par les temps qui courent.

L'autre branche de l'alternative, je vous la confie sans tarder: union libre avec un être instable, sans engagement d'amour à vie bien au contraire, dans des lieux variables éventuellement séparés, chacun sous son toit, avec une série de boulots instables assortis de revenus chaotiques, autorisant une progéniture possiblement déstabilisée par cette incessante mobilité des personnes, des biens et des espaces. En échange, autonomie absolue, libre disposition de soi-même, évolutions, enrichissements, surprises, transformations, éblouissements. La tentation est forte. Mais je dis "Halte-là !", sachez dans quoi vous vous engagez: dans l'instabilité. Le mot est rude, je le sais. L'instabilité, oui, avec son cortège d'anxiétés, de peines et de joies, de solitude compacte, d'angoisses d'abandon et, partant, de demandes, de prières, d'injonctions, et sa mallette à outils de pression. Dès lors que surgit la fatale mallette, l'amour est mis en péril et nous voilà sur la voie de sa destruction.

On voit donc que le choix est large et copieux: avec la stabilité, partant, plus d'amour. Avec l'instabilité, partant, plus d'amour. On hésite. On atermoie.

N'espérez pas l'impossible, il n'existe pas de moyen terme ni de juste milieu, c'est l'un ou c'est l'autre. Le choix est rude, mais c'est la Vie, dans les deux cas. Car n'oubliez pas que c'est la Nature elle-même et non pas moi qui a jugé bon de créer le homard comme l'hominidé, et que tous les deux vivent. Car ainsi est la vie, faîte d'extrêmes.

Je vous vois dans l'embarras et cela me peine. Ne cherchez plus, je vous guide, tel le bovin de trait remorquant son charroi de merde sur son sentier de lumière. Tranquillisez-vous, car j'ai la réponse, évidemment, qu'est-ce que vous croyez. Je vous réponds sans prendre de gants, inutile de trembler, car vous n'avez en réalité aucun choix.

Voilà qui est nettement plus réconfortant car la question qui vous affolait tant ne se pose plus.

Aucun choix en effet car, de par votre nature personnelle, la vie se chargera de vous embarquer sans vous demander votre avis dans la voie de la stabilité conservatrice ou de la mobilité libertaire. Ne vous faîtes donc aucun souci, ça se fait tout seul, sans même que vous ayez à réfléchir, ce qui est bien commode et épargne de l'énergie.

Cependant l'honnêteté m'oblige à vous dire que ceci n'est qu'une étape.

Car la voie de la stabilité détermine, comme je l'ai exposé avec clarté, une implosion sourde de l'amour, le transmuant en un compagnonnage poli ou en une douce amitié.

De deux choses l'une. Soit vous trouvez satisfaction dans cette transmutation et je ne vous jette pas la pierre, tant l'amour représente une somme d'emmerdements et de perte d'énergie proprement inadmissible. Mais en ce cas, s'agissant de l'amour, vous n'êtes plus concerné et bon vent et vous pouvez réserver votre esprit libéré aux affaires de la guerre, de la philosophie et autres mystères de la vie.

Soit vous n'êtes pas satisfaits par cette transmutation et, déçu, en quête inlassable d'amour, vous faîtes exploser votre union stable pour aller voir ailleurs ou bien, vous la ménager tout en allant voir à côté, c'est équivalent, et vous tombez aussi sec dans la position seconde que j'ai décrite, à savoir l'instabilité, la liberté et l'angoisse. Donc, s'agissant de l'amour, il ne vous reste plus à la vérité qu'un seul choix, ce qui ne s'appelle plus un choix mais une fatalité: le chaos.

Déjà nous voilà tous plus apaisés, la piste se dégage"

equilibriste

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Commentaires
T
c'est un petit librio à 2 € qui paye pas de mine mais qui dit vraiment quelque chose je trouve et sans en avoir l'air. J'ai lu d'autres trucs de Fred Vargas mais franchement celui-ci est un ovni...
R
Ah, un Fred Vargas que je n'ai pas lu
G
bravo à l'écrivain j'aime le style et le contenu! Mais il me semble que la vie est aussi un peu plus nuancée... Avec ce shéma, il est impossible d'être heureux! Et je pense que le bonheur se construit un peu plus chaque jour en soi d'abord! S'aimer soi-même me semble plus difficile qu'aimer l'autre! Alors j'essaie par de petits détails de me construire un peu plus à chaque instant et certainement que cela va se refléter chez l'autre... Un jour ou... alors je pense que j'aurai l'équilibre nécessaire pour moins d'angoisse et plus de confiance... en moi donc aussi en les autres! bises!
S
Ce bouquin va me plaire!<br /> Après intense réflexion, je considère que toute espèce vivante doit s'adapter à son milieu pour survivre...les espèces animales et végétales nous sont largement supérieures en ce domaine!<br /> Du fait que la Vie est en perpétuel mouvement, les adeptes de la "stabilité" auront sûrement parfois de mauvaises surprises...les autres sauront-elles profiter des accalmies?
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